Apprendre à aimer avec les fautes pardonnées

« Si ses péchés, ses nombreux péchés sont pardonnés c’est à cause de son grand amour. Mais celui à qui on pardonne peu, montre peu d’amour. »
Nous étions quatre cousines à entourer notre grand-mère d’une tendresse respectueuse. Sa soeur, célibataire, qui avait toujours vécu avec elle, nous ne l’aimions guère. Elle était la « tata ». Elle était moins jolie, moins intelligente, moins distinguée à nos yeux que grand-mère.
« Qu ‘elle est embêtante ! », disions-nous, geignarde, toujours entrain
de se plaindre, de nous agripper le bras pour obtenir un baiser (…)
Tous juste polies avec elle, nous dégagions avec impatience le bras qu‘elle tenait et je me suis parfois moquée de son infirmité : elle y voyait très mal et devait finir sa vie aveugle.
Dans sa grande vieillesse, elle perdit la raison. A cette époque-là , j’étais mariée et habitait dans la même ville qu’elle. Je venais pour sa toilette qu’elle ne pouvait plus faire seule (…)
A recommencer quasi quotidiennement , il m’arriva cette chose étonnante : je me mis à l’aimer. Nettoyer les scories de la vie ne me rebutait pas plus que ne l’eussent fait les mêmes salissures sur un corps enfantin.
Je découvris sa nudité dans sa blancheur d’ivoire, sa sveltesse, ce que je fus bien obligée d’appeler sa grâce. Et l’amour était surprenant et doux comme s’il avait été engendré heure après heure par ce qui contraint et fait honte. Il me fut donné - comme promis par surcroît .
Je l’embrassais. Je rattrapais tous les baisers qu’elle m’avait arrachés, ceux que je lui avais refusés, ceux auxquels j’avais répondu du bout des lèvres. Toute sa vie n’avait été qu’une longue attente de l’amour dans le souvenir des baisers de sa mère (…)
Il faut dire : « je t’aime » en plus du service. Nous sommes avares de nos « je t’aime », et nous réduisons l’autre à cette question de mendiant : « Est-ce que tu m’aimes ? », torturante car il n’y a aucune réponse satisfaisante. Positive, on craint qu’elle ne soit mensongère, négative, elle désespère.
Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus le savait, instruite par l’amour qui illumine l’intelligence. Après avoir aidé une religieuse impotente et acariâtre, cette jeune-fille, adolescente encore, comprend qu’il faut sourire . (…) Il ne nous est pas demandé de laver les pieds joyeusement, mais si la joie est là elle dépouille le service de l’obligation et le rend transparent .

Tiré de « Célébration de l’amour »
de Marie Rouanet